Abbé Gratien Pon, fondateur du Patriote des Pyrénées, 1857-1944

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Source : doc. Louis Loustau-Chartez
Personnalités religieuses de la vallée


Article rédigé par Louis Loustau-Chartez

Ses origines

Gratien Pon est né à Lées Athas, à la maison La Salette, en bordure du chemin de la Mâture, le 12 juin 1857 ; ci-dessous son extrait d’acte de naissance signé par Pierre Lapoulide maire de Lées Athas .
Depuis longtemps, l’exploitation des bois pour les besoins de la Marine Royale avait pris fin et le jeune Gratien n’a pas pu profiter du spectacle qu’offraient les attelages de bœufs transportant les mâts jusqu’au port d’Athas.
A l’âge de quatre ans, il perd son père et est élevé par sa mère et un grand- père très sévère. Etant de famille très modeste, pour des raisons de commodité, il est scolarisé à l’école primaire d’Osse en Aspe. Il rappellera très fidèlement le souvenir de son maître.
Pour le repas de midi, il emportait de la méture, (pain à la farine de maïs), une tranche de fromage ou une sardine. Au retour de l’école, il avait droit à du pain blanc seul ou à de la méture avec un bout de fromage .Un jour, l’enfant se laissa tenter par le pain blanc et le fromage. Le grand- père se fâcha tellement que Gratien mentit longtemps avant d’avouer sa « faute ». Il prit alors la résolution de ne plus jamais mentir.
Ses études et le Vicariat.
Comme il était bon élève, le clergé l’orienta vers des études classiques au berceau de Saint Vincent de Paul près de Dax où ses camarades le nommèrent Président à vie de leur amicale. Après des études classiques, il entra au grand Séminaire de Bayonne. Ordonné prêtre le 18 mai 1883, il fut envoyé comme vicaire à la paroisse de Pontacq puis à celle de Saint-Jacques de Pau. Les relations qu’il eut à Pontacq et à Pau lui seront plus tard très utiles.

Le professorat .

En 1890, c’est le professorat au grand séminaire de Bayonne où il restera jusqu’en 1894 en qualité de professeur, puis de Directeur…Plus tard il écrira : « Je me plongeais avec plaisir dans l’étude de la chimie agricole, de la géologie et des sciences. » A ce poste de choix, il se révèlera dur envers lui-même et intransigeant envers les autres. Il n’admettra ni exception, ni dérogation, obstinément insensible à toute considération humaine qui ne s’accorderait pas avec l’idée qu’il a de ses obligations professionnelles. Il constatait que les élèves admis au grand séminaire subissaient un examen devenu une simple
formalité. On ne tenait compte que des notes de scolarité. Il refusa cette pratique , corrigea les copies avec un soin scrupuleux et refusa un candidat dont le niveau de culture lui parut insuffisant. Rien ne put le faire fléchir. En rentrant, il retrouva dans le train le candidat confiant et joyeux. L’abbé engagea une longue conversation et se rendit compte qu’il avait commis une grosse erreur en refusant ce candidat. Sitôt arrivé à Pau, il télégraphia à Bayonne pour qu’il soit admis.
L’abbé Pon fut toujours sourd à toute pression extérieure dans l’accomplissement de son devoir, mais il n’hésitait pas à revenir sur son jugement avec une loyauté totale dès qu’il prenait conscience d’une erreur commise ou possible.

Le retour à Pau.

En 1894, l’abbé Pon obtint de son évêque, Monseigneur Jauffret, l’autorisation hésitante de quitter le séminaire de Bayonne où il enseignait pour se consacrer entièrement à l’OEuvre de Presse créée à PAU par MM. Butel et Damestoy. L’autorité ecclésiastique, sceptique sur les chances de réussite, l’avait laissé partir sans un encouragement pour qu’il fût seul à assumer son projet. Arrivé à Pau, il s’installa pauvrement dans un appartement froid qui ne sera que rarement chauffé.
Avec force et courage, il se lança dans cette nouvelle aventure. Il édita un hebdomadaire associé à « la Croix », « l’Union catholique » et installa son journal 11 rue de la Préfecture, l’actuelle rue Maréchal Joffre.
A cette époque, deux quotidiens se partageaient la clientèle béarnaise : « Le Mémorial », journal catholique de droite et « l’Indépendant », jeune journal républicain créé par Emile Garet.
L’hebdomadaire récemment créé connut un maigre succès. Sans se décourager, l’abbé Pon le remplaça en 1896 par un quotidien « le Patriote » , ce qui fut pour lui une entreprise risquée en raison de la réticence de l’Évêché , mais il y mit toute sa détermination et se révèlera un grand chef d’entreprise.
Le 15 avril 1896 il lance un appel en faveur de son journal. :« Il semble qu’il y ait une place pour un quotidien décidé à se vouer sans relâche à la lutte. Se tenant sur le terrain constitutionnel mais préoccupé avant tout de défendre nos croyances et nos libertés, ce journal conviera tous les Bons Français et toutes les honnêtes gens à s’unir pour le triomphe de cette grande cause ».
Ce journal aura pour ambition d’être un grand journal parfaitement informé et l’organe d’un groupement actif de militants. (Parti des honnêtes gens).Cette réalisation sera possible grâce à de nombreux dons pour une bonne œuvre. L’abbé Hourcade offrit 15000 Francs pour acheter l’imprimerie de Véronèse. De nombreuses personnalités apportèrent non seulement leur soutien moral mais aussi leur aide matérielle.
Avec l’abbé Pon se trouvent trois membres fondateurs à la tête du journal :
L’abbé Pon aura avec lui un collaborateur fidèle et précieux en la personne de Frank Russel, frère du Pyrénéiste bien connu.
Fernand Butel assurera les fonctions de Rédacteur en chef et Albert Loustalan celles d’Administrateur délégué .
A propos d’Albert Loustalan, l’abbé Pon écrit dans ses mémoires : « …Ce fut pour nous la plus précieuse des acquisitions. J’avais pu apprécier son intelligence claire, précise et méthodique, la distinction de ses manières, la sûreté de son jugement. Nos amis savent ce qu’il a réalisé, bien au-delà des espérances que j’avais fondées sur lui. Il a été un collaborateur de premier ordre. »
L’abbé Pon lui même s’engagera avec ténacité . « Je pris mon bâton de pèlerin et m’en allai par monts et par vaux, à pied la plupart du temps. Je me vois encore en maintes régions recueillant deux à trois abonnements par jour, après avoir parcouru d’un village à l’autre de longs kilomètres ».
En 1902, l’abbé Pon Directeur du journal « le Patriote » se rendit à Vic pour recruter Simin Palay (portrait ci-contre) (Image 05 )et lui confier la charge de secrétaire rédacteur du quotidien. Simin Palay s’installa alors à Gelos et y vécut jusqu’à sa mort.
De temps en temps, le Directeur de l’école Normale, M. Lalanne l’invitait dans son établissement pour qu’il donne des leçons de béarnais ce qui prouve que notre langue n’était pas rejetée par l’école laïque. Il arrivait aussi que Simin Palay, félibre de premier ordre, anime des séances de chant ou des spectacles. Il apportait un peu de joie dans la sévère maison de Lescar.

L’essor du journal.

La volonté inébranlable de l’abbé fit qu’il affronta toutes les difficultés et qu’il en triompha. Il avait compris qu’un journal doit s ‘adresser à un public plus large que les seuls catholiques engagés.
Pour recevoir plus vite les nouvelles les plus fraîches, il eut recours à un instrument tout nouveau : le téléphone. Pour que le journal soit crié dans les rues sitôt sorti des presses, il embaucha les enfants du catéchisme . Il les dota d’une « tute »,trompette dont ils sonnaient allégrement.
Le journal se fit une place très honorable dans le Département , fut toujours à la pointe du combat. Jusqu’en 1944, l‘abbé Pon assuma la plupart des charges et resta le Directeur du « Patriote des Pyrénées .

Les démêlés familiaux.
Le caractère bien trempé de l’abbé Pon et son esprit d’indépendance firent qu’il eut à lutter longtemps contre la jalousie des journaux en place soutenus par d’éminents responsables politiques, notamment Louis Barthou (portrait ci-contre) (image 06) qui tonne contre les « cléricaux », prend personnellement à partie, dans ses discours, l’évêque de Bayonne Mgr Gieure « ce prince de l’Eglise qui n’a rien appris, rien oublié et profite indignement d’une loi de justice et de paix. »
Nous avons peine à nous représenter la violence de ces constantes polémiques, exacerbées en période électorale. Elles dressèrent les journaux les uns contre les autres. Elles finissaient régulièrement sur les bancs de la correctionnelle. Un jour, quatre affaires intéressant « le Patriote » furent jugées à la même audience.

Les plus sensibles épreuves vinrent du côté où on pouvait le moins les attendre. A plusieurs reprises, l’abbé Pon s’opposa à son évêque Monseigneur Gieure notamment au sujet des publications ecclésiastiques. Le ton monta à tel point que l’évêque demanda la démission du directeur. C’est alors qu’intervint le comte de Russell Dans une longue lettre très respectueuse, il souligne le rôle joué par l’abbé Pon et explique que son départ signerait l’arrêt de mort du journal. Sensibilisé par les arguments de Russell, Monseigneur Gieure maintiendra le jeune abbé à son poste. (Copie des courriers échangés en annexe ) .
Par ailleurs, la promulgation de la loi de la Séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, sous le ministère Rouvier, suscitera cette déclaration de l’abbé Pon resté fidèle à l’Eglise :« L’espérance, vertu essentielle a toujours été la force de l’Eglise qui a connu tant de fois les heures sombres de la persécution et les a vécues pour se réveiller toujours plus vivante et plus grande. »

Le succès de l’entreprise, son côté social et familial.
L’Abbé Pon est resté fidèle à ce qu’il écrivait à son arrivée à Pau : « Le Pape recommande sans cesse aux catholiques de s’occuper du peuple, il nous engage à descendre vers les petits, vers ceux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front. Il veut que nous les aidions, non seulement de notre argent mais aussi de notre intelligence, de la supériorité que nous donne la naissance ou l’éducation. »
Le journal a vu décupler le nombre de ses abonnés et lecteurs. « Le bon Dieu est trop bon » disait souvent l’abbé Pon. « Il a béni notre expérience au delà de toutes nos espérances. »
Pourquoi ne pas le dire … Il était quelque peu effrayé du développement que prenait l’entreprise, mais il voulut que le personnel en soit le premier bénéficiaire. Des mesures à caractère social et familial furent prises sous son impulsion. Il y avait au « Patriote » des allocations familiales importantes, et tout une série d’avantages sociaux que l’on ne connaissait pas ailleurs : primes à la natalité, au mariage, à l’ancienneté, indemnités en cas de chômage. Pour les anciens ouvriers, une retraite fut constituée. D’importantes gratifications s’ajoutaient à ces mesures.

La réconciliation avec Monseigneur Gieure.
Le 9 Novembre 1924, 3000 hommes se rassemblèrent à Pau pour protester contre une menace de reprise de persécutions religieuses. Avant de prendre la parole, Monseigneur Gieure entouré de notabilités, s’assura de la présence de l’abbé Pon . Il remercia les orateurs, puis après un silence significatif, il ajouta : « cette journée nous la devons à quelqu’un qui est ici, à un prêtre dont l’action persévérante au milieu des épreuves et des difficultés a seule rendu possible cette grandiose manifestation. Je tiens à le remercier en le nommant chanoine honoraire de la cathédrale. »
D’un geste de grand seigneur, avec beaucoup de délicatesse, l’évêque de Bayonne avait su jeter le voile sur un passé douloureux. L’abbé Pon se leva très ému et sans dire un mot alla tout simplement s’agenouiller devant l’évêque et demander sa bénédiction.
La Presse sous l’Occupation
La presse sous l’Occupation compte dans les Basses- Pyrénées une douzaine de publications dont le Patriote, l’Indépendant, France Pyrénées.
Dans le Département, trois quotidiens vont rester après la guerre : Sud-Ouest, la IVème République et l’Éclair Pyrénées. C’est grâce à Champetier de Ribes que l’Éclair obtint l’autorisation de paraître et de remplacer « le Patriote ». C’est grâce à l’abbé Pon que les abonnés de Lées Athas bénéficieront longtemps d’un tarif préférentiel .
La fin d’un sacerdoce
L’abbé Pon était prévoyant. Il avait choisi l'abbé Annat pour assurer sa succession. L’évêque donna l’autorisation et l’abbé Annat se consacra à la presse.
Gratien Pon avait ordonné sa vie, il ordonna sa mort avec beaucoup de tranquillité et de méthode. La première alerte de santé lui fit mesurer la gravité de son état, il en parla avec le prêtre qui l’assistait. Il fit venir son entourage, donna les dernières recommandations. Il décéda le15 janvier 1944.

Les obsèques de l’abbé PON

Dans sa simplicité naturelle, dans le renoncement qu’il n’avait jamais cessé de pratiquer toute sa vie, même après la réussite parfaite de son œuvre magnifique, M l’abbé Pon avait réclamé dans ses dernières dispositions le minimum d’honneurs funéraires.
Rien ne pouvait empêcher la population paloise de lui rendre un suprême et fervent témoignage de gratitude et de vénération. M . le chanoine Annat, son successeur au « Patriote », conduisait le deuil. Des dizaines de chanoines et de prêtres constituaient le cortège. De nombreuses personnalités politiques de tous bords étaient présentes. M. le Préfet, empêché, était représenté par Monsieur Fabre secrétaire général.
Monsieur le chanoine Domecq, curé de Saint Jacques, monta en chaire pour déclarer qu’il ne serait pas prononcé de discours afin de respecter les volontés du défunt. Il y fut simplement donné lecture de ces paroles qui sont la conclusion de ses dispositions testamentaires :
« Mon souvenir à tous ceux qui m’ont aidé de leur concours et de leur amitié. Combien de prêtres souvent dans des conditions très humbles ont applaudi à nos efforts et aux plus mauvais jours défendu notre œuvre. Je n’oublierai pas mes collaborateurs et amis vivant là-haut auprès de Dieu ,où j’espère arriver malgré mes imperfections et mes fautes.
A tous je demande pardon de la peine que j’ai pu leur faire quelquefois par mes saillies de caractère mal réprimées. Néanmoins, ils ne doutaient pas de mon amitié pour eux . Je les en remercie . »

Les journaux locaux saluèrent dans des articles élogieux le courage et l’obstination de l’abbé Pon . Tous reconnurent le succès de son entreprise.
Ce succès concrétise une admirable triple aventure intellectuelle, technique et humaine.

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