témoignage du frère de Jean Agnès dans un bulletin de Mémoire d'Aspe
« Mon frère a disparu dans l'après midi du dimanche sept octobre 1943. Je suis son petit-frère né en novembre 1938. Ne le voyant pas arriver à l'heure du dîner alors que l'anniversaire de ma mère était programmé, mon père entrepris les démarches que je développe ci dessous.
Le poste de commandement de ces indésirables envahisseurs, nouveaux maîtres de la France entière depuis le 11 novembre 1942, est installé au château Fenard (Bedous).
Dans ces lieux, mon père reçut une réponse réconfortante : « votre fils n'a pas été arrêté ». Des jeunes gens de cet âge lui ont dit : « il y a un bal à Lescun ». Ayant un laisser-passer permanent en temps que cheminot, il se rendit dans ce village à vélo. Aucun des participants à cette guinguette improvisée n'avait vu Jean ! Disparu sans laisser d'adresse ! Apparemment les possibilités de recherches semblaient épuisées.
La semaine qui suivit fût horrible, des rumeurs les plus folles furent propagées, les plus invraisemblables devenaient des affirmations.
Et ce n'est que huit jours après, en soirée, qu'un voisin, M. Furlanetto, débardeur de l'entreprise Villa, vint frapper à notre porte à l'initiative de son épouse. Celle-ci lui ayant raconté les cancans du village durant son absence, lui apprit la disparition de l'aîné des fils Agnès. « Pas du tout,dit-il,Jean s'est évadé ». Ce bûcheron faisait la navette entre les coupes de bois sur le plateau de Lhers et le Pont du Roi en contre bas où une plateforme avait été construite pour recevoir les troncs d'arbres abattus. Au cours de l'un de ses convois, il avait aperçu trois jeunes gens, Jean Agnès, Pierre Debat-Minvielle et un troisième ne lui était pas connu. Une fois le pont traversé, négligeant la route, ils se sont dirigés vers la partie boisée, abrupte, qui débouche en bordure nord-ouest du plateau de Lhers.
M.Furlanetto vint annoncer la nouvelle à mes parents effondrés : « J'ai vu Jean en compagnie de deux autres jeunes se dirigeant vers la plateau de Lhers en fin de soirée dimanche alors que
j'effectuais le dernier convoi de la journée. Ils sont passés en Espagne ».
Jean Agnès, fait prisonnier par des douaniers espagnols, est interné. Puis convoyé en train à Malaga, il est transporté par navire à Casablanca. Il s'engage alors dans les Spahis blindés algériens de reconnaissance.
La disparition de Jean Agnès
La guerre se poursuivit. Les Alliés débarquent en 1944 en Normandie puis en Provence. Les Allemands sont défaits sur tous les fronts. Pas de nouvelles de Jean. Où etait-il ?
C'est au milieu du mois de novembre 1944 que Monsieur le maire de Bedous, Jean Larricq, accompagné de Madame Abadie, vint à une heure tardive frapper à notre porte. Mon père les invita par la fenêtre à entrer, mais ils restèrent dans l'entrée regardant mon père sur le palier du premier étage. Monsieur le Maire tenait à la main une enveloppe de couleur jaune. Il dit : « Jean est mort ». Mon père descendit les quelques marches, reçut l'enveloppe jaune portant le sigle du Ministère des anciens combattants. La guerre était terminée pour eux.
Le livre du régiment fournit les détails de la fin de Jean Agnès : « Le convoi se dirigeait de Sapois à Menaurupt sur un chemin de terre coincé entre, à gauche une forêt sombre et dense et, à droite, un ruisseau en contre bas. Le danger ne pouvait venir que de la gauche, ce qui a été le cas. Le canon du char était donc dirigé vers ce côté. Une avalanche de tirs dirigée sur la voiture de tête, celle où se trouvait mon frère, a occasionné la paralysie de la colonne. Un mauvais réflexe du chef de voiture a mis en équilibre instable cette voiture blindé dont le train avant était sur le mur séparant le chemin du ruisseau. Cet homme, blessé, est tombé à terre en sortant de l'engin. Mettant à profit une accalmie des tirs ennemis, mon frère s'est porté à son secours en sautant par dessus un rebord de la tourelle. Mais, un sniper l'a abattu d'une balle dans la nuque. Il est tombé à l'intérieur de la tourelle où il a agonisé. Le reste de l'équipage s'était éjecté vers le ruisseau ». Jean Agnès avait 20 ans depuis le 19 juin 1944.